De la Côte d'Azur à Goa.

Nous avons fermé notre boutique et notre chambre d'hôtes en août 2019.
Après six années à vivre au rythme de deux activités aussi prenantes et chronophages, ça nous a fait bizarre de tout arrêter d'un coup.
Ma mère a largement dépassé l'âge de la retraite mais est peu capable d'inactivité.
En ce qui me concerne, n'ayant jamais été au chômage technique plus de deux-trois mois, il n'était pas envisageable pour moi de travailler de la maison tout de suite après ces fermetures, j'aurais été comme un lion en cage.

J'ai toujours eu envie de passer plus que nos "un ou deux mois réglementaires" annuels en Inde. Une amie indienne avec qui je travaillais alors dans le cadre de son agence de voyages, me propose d'aller gérer le restaurant dont elle est copropriétaire à Goa pour la saison. C'est ainsi, les Indiens ont souvent plusieurs affaires, dans des secteurs d'ailleurs assez disparates la plupart du temps.

Passionnée d'art de vivre, adorant cuisiner et recevoir, ayant toujours (pas si secrètement) rêvé d'ouvrir mon propre restaurant, je trouve l'idée amusante.
Je fais ni une ni deux, je saute dans l'avion à la mi septembre, à peine quinze jours après la fermeture et le déménagement de notre maison de village de cinq étages.
L'ouverture (ou plutôt la réouverture après déménagement) du restaurant est prévue pour le 29 septembre. Or lorsque j'atterris à Bombay, on m'installe chez l'associée de mon amie, dans son appartement familial de Kemp's Corner en me disant qu'à cause de la mousson, les travaux du restaurant de Goa ont pris du retard et que je peux utiliser ce temps à venir travailler au restaurant jumeau de Bombay pour quelques "jours".

Se former semble être une bonne idée, après tout, même si je suis observatrice et que j'ai de nombreux amis dans la restauration, voir les choses de l'intérieur est une autre histoire.
Les dix - quinze premiers jours, on me demande de réaliser un nombre conséquent de tableaux excels comparatifs, d'études en tous genres sur la concurrence, de recherches de contacts en tous genres pour créer des mailings lists. Bref, je prends pêle-mêle la casquette de stagiaire de 3ème, assistante de direction, attachée de presse et j'en passe.
Je ne rechigne pas, le travail me paraît intéressant étant donné que je n'ai aucune idée de la scène Goanaise en termes de restaurants et de compétition, qui paraît il est rude, je me familiarise donc ainsi avec les gammes d'offre et de prix et ingurgite un nombre conséquent d'informations en préparation de mon installation là bas.

Les journées s'écoulent rapidement, entre devoirs à la maison, dégustation des plats de la carte, observation du personnel à la tâche, quelques réunions avec la graphiste, des traductions de menus en bataille, des recherches sur des plats français mis à la carte et les heures passées dans les encombrements bombayottes entre le service de midi et le service du soir. 





Puis un vendredi soir, peu de temps après mon arrivée, je suis convoquée en réunion. 
Mes des "amies/bosses" sont là, et ont des choses à me dire. 
J'espère que l'on approche enfin de ma "mutation" au soleil de Goa, ici à Bombay la mousson n'en finit pas, et le ciel gris et plombé donne une allure crasseuse et gluante à la capitale économique de l'Inde. Impossible avec cette chaleur et cette humidité de profiter de la ville, moi qui planifiais déjà des promenades dans tous les bazars et quartiers de pêcheurs de la mégapole, je me retrouve finalement à aller au cinéma...
Il se trouve que cette réunion a pour seul but de me sermonner sèchement sur mon apparent manque de motivation. Comment se fait-il qu'au terme de bientôt deux semaines sur place je ne sois toujours pas "on the floor" (au service/à l'accueil) ?
Abasourdie je fais remarquer que je n'ai pas eu une minute pour le faire jusque là et qu'en prime personne ne m'y a encouragé. On me répond de façon glaciale que désormais on ne veut plus jamais me voir assise, que je dois être l'ombre des serveurs et des managers et que l'on n'a pas "investi" en moi en sacrifiant la chambre d'amis de l'appartement de Kemp's Corner (ce trésor) pour quelqu'un qui n'est là que pour remplir des tableurs excels, ceux-ci pouvant être réalisés en dehors des heures de service au restaurant.

Je suis d'accord sur le fait qu'il est temps que j'apprenne plus sur le fonctionnement du restaurant et qu'être aux opérations semble désormais nécessaire, mais je ne comprends ni le ton, ni le fond de ces réprimandes. Je suis ici à leur service, sur leur territoire et il me semble donc naturel qu'elles me dirigent vers les opérations adéquates en temps voulu.
Je bous intérieurement de leur dire que l'investissement n'est pas très lourd étant donné que je ne suis pas payée et suis uniquement là pour "apprendre et dépanner", et que j'ai plus travaillé ces quinze derniers jours en volume horaire, que pour mes cinq derniers employeurs qui eux me payaient pour mes services.
Je décide en mon for-intérieur de ne pas passer pour une caricature de française syndiquée et opine du chef, décidant de ne pas faire de vagues pour cette fois.





J'ai passé les quatre semaines suivantes en salle à travailler gratuitement aux services de midi et soir, quasi sans interruption, payant taxis aller et retour à chaque fois, soit la bagatelle de cent euros de ma poche pour un mois et demi de travail sur place. Je ne m'en suis pas plaint, attendant patiemment l'heure de mon départ à Goa qui signerait un regain de liberté et d'optimisme.
Les semaines passent donc, le temps s'améliore un peu et fin octobre enfin, on m'annonce que je vais bientôt pouvoir partir. Une amie restauratrice parisienne vient au même moment à Goa pour faire un stage de Yoga, j'insiste donc pour partir deux ou trois jours avant le reste du staff afin de passer quelques jours aux côtés de celle-ci, et me familiariser avec Goa par le prisme de quelqu'un qui connaît bien les lieux.
Faveur accordée, j'arrive sur place première semaine de Novembre, nous en sommes déjà à quatre reports de la date d'ouverture du restaurant, mais cette fois on jure sur tous les dieux du Nirvana que ce sera pour la semaine suivante. 
Le restaurant ouvrira finalement ses portes fin novembre à cause de retards dans les travaux et de problèmes d'électricité. 

Les challenges s'amoncellent, il faut faire tourner une énorme usine à gaz avec des bouts de chandelle, on me demande de m'occuper d'un peu de déco par-ci, d'un peu de management par-là, mais surtout de superviser le staff et de gérer l'accueil client, mais les moindres minuscules demandes d'achat pour palier des problèmes immédiats sont refusées sans ménagement, on me demande d'aller acheter des fleurs et c'est la croix et la bannière pour se faire rembourser, les plus petites choses du quotidien prennent une ampleur ubuesque et la communication est de plus en plus mauvaise. 
Cacophonie sur les dizaines de groupes Whatsapp sur lesquels les deux associées vomissent des ordres dès poltron-minet jusqu'à une heure avancée dans la soirée. Il n'y a pas de jour off, tout ce qui n'est pas fait en semaine doit être fait pendant le jour de repos, alors que le staff n'en peut déjà plus.

Pour couronner le tout, mon bungalow au milieu de la cour du restaurant n'est ni fonctionnel ni confortable et ne confère pas une once d'intimité. Je décide donc de quitter le navire peu avant Noël avant que celui-ci ne sombre avec moi à bord.
Bilan de l'opération : trois mois de travail qui n'aboutissent à rien, des dépenses hallucinantes de mon côté (visa run au Sri Lanka, assurance, billets d'avion, taxis à Bombay, location de scooter à Goa et j'en passe) alors qu'enfin le restaurant ouvre ses portes et les clients, heureux d'avoir quelqu'un à qui parler, insistent déjà pour avoir ma ligne perso et réserver leurs tables par mon seul biais. 
Et évidemment il fallait s'y attendre, une brouille irrémédiable avec l'amie qui m'avait embauchée. Adieu donc la collaboration autour l'agence de voyage, ce qui me plaisait tant.
Quel dommage, quel gâchis de temps et d'énergie.

Moralité de l'histoire : 
- Il n'y a pas de "friendly deal" qui tienne en Inde. Etant donné que l'on va toujours vous en demander plus, il est intenable de travailler gratuitement (ici contre hébergement, repas et transports soit-disant).
- Il est impossible de parler d'argent. Le sujet est tabou à l'oral et à l'écrit. Je n'ai eu que des fins de non recevoir à chaque fois que j'ai tenté une incursion sur ce terrain.
Je n'ai donc pas récupéré l'argent dépensé à Bombay, ni mon scooter ni le carburant pour celui-ci ne m'ont été remboursés, et des 800 euros sortis de ma poche pour payer le billet d'avion France-Inde, je n'ai été remboursée que de 500. On espérait donc qu'à presque 40 ans j'allais payer pour travailler et me taire en prime.
- Si votre conversation ennuie ou perturbe, on ne vous répond pas. Le communication est tout simplement bloquée. Le temps c'est de l'argent, donc on n'a pas que ça à faire !

Prochaine étape : se réinventer une raison d'être à Goa, quand on a du temps à perdre et qu'on n'a jamais été particulièrement passionnée par la vie de jet-setteuse en vacances.
Ce sera l'objet de mon prochain billet, à suivre ;)











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